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Développement: Philosophie et Stratégie

Commençons par nous accorder sur la finalité du développement, qui est la satisfaction des besoins de base et des aspirations légitimes de toute la population et l’espoir dans l’avenir pour une vie de qualité pleine d’opportunités. Aujourd’hui pour Maurice, le défi du développement ce n’est pas uniquement de consolider les piliers économiques existants et de développer de nouveaux. Il faut s’entendre aussi sur une nouvelle philosophie de développement en «rupture» avec ce qui a été et est en cours. Nous devrons imaginer et mettre en œuvre un nouveau modèle socio-économique plus juste et plus solidaire ancré dans un aménagement «smart» du territoire pour porter l’écodéveloppement.

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Le modèle dominant et l’idéologie libérale qui l’anime sont aujourd’hui sérieusement critiqués et contestés. Ce modèle n’a pas donné les résultats escomptés. Il est même responsable d’avoir accentué les criantes et insupportables inégalités sociales et tous les maux qui vont avec, dont les dysfonctionnements économiques et les dérives éthiques. Ne nous voilons pas la face.

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Mondialisation, bombe démographique

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Dans toute réflexion collective sur le modèle du développement à promouvoir, il convient naturellement d’apprécier les mutations multiples et profondes et les bouleversements qui traversent le nouvel ordre mondial qui se met en place au niveau géopolitique et géoéconomique. Il y a aussi la révolution numérique - la quatrième révolution industrielle - qui est en train de tout bouleverser, dont la nature et la structure du monde des entreprises, du marché du travail et de l’emploi.

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L’autre tendance lourde et irréversible est l’impact de l’intelligence artificielle dans les entreprises avec les pertes d’emplois et la création d’autres. C’est à nos portes ! Préparons-nous sérieusement.

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Le défi est de regarder de près pour éviter la casse à plus ou moins brève échéance tout en voyant loin afin de ré- fléchir sur la transformation–transition vers un nouveau modèle de développement à imaginer, à inventer. Commençons par la constitution de vraies équipes de Recherche et Développement (R&D) qui ne peut plus être l’enfant pauvre de l’État, des conglomérats et des grandes entreprises mauriciennes. L’Economic Development Board qui ramène la dimension stratégique dans la réflexion sur le développement a du pain sur la planche. Il devra tenir compte de la dimension prospectiviste, avec comme première interrogation la nécessité ou pas d’une réactualisation de la Vision 2030 énoncée en 2015. À ce sujet, certains s’interrogent sur la prépondérance du secteur privé dans la réflexion sur le développement.

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Le facteur démographique est central en raison du vieillissement de la population qui soulève la question de la disponibilité de la main-d’œuvre en quantité et en qualité. C’est déjà un problème structurel bloquant qui ira en s’accentuant. L’émigration est de nouveau à l’agenda de nombreux Mauriciens car les perspectives d’avenir ici sont perçues comme bouchées. Se greffe à tout cela la problématique des travailleurs étrangers : statut et conditions de vie d’une part, et d’autre part le rapport des Mauriciens avec les expatriés et la politique d’ouverture vis-à-vis du savoir-faire étranger dans les secteurs qui en ont besoin. L’avenir c’est l’ouverture intelligente à l’intelligence. La politique basée sur le retour de la diaspora identifiée comme ressource et sur laquelle on fonde beaucoup d’espoir n’a pas encore donné les résultats escomptés. Un bilan sans complaisance s’impose.

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Un nouveau modèle de développement

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Des analystes, économistes et observateurs respectés ont fait l’état des lieux de l’économie mauricienne en ce qui concerne la croissance, l’emploi, l’investissement, les inégalités, l’endettement et les déficits, et plaident pour diverses réformes structurelles. Notre ambition nationale affichée est de sortir du Middle Income Trap pour faire partie des High Income Economies. C’est plus vite dit que fait ! Mais nous devons et pouvons y arriver, tout en veillant à ne pas creuser les inégalités.

Où en est notre modèle de développement ? Après l’accession à l’Indépendance, l’économie mauricienne s’est diversifiée avec de nouveaux créneaux résolument tournés vers l’extérieur, tant pour les débouchés que pour l’investissement. Cinquante ans après, notre pays est condamné à être une économie ouverte au sein d’une mondialisation qui connaît un déplacement de son centre de gravité vers l’est. L’avenir passe par une économie reposant sur plusieurs piliers qui sont pour beaucoup tournés vers l’exportation, en raison de l’étroitesse de notre marché intérieur. Nous avons aujourd’hui les secteurs-piliers traditionnels, les nouveaux, les récents et les émergents.

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Faisons une brève appréciation/ évaluation des piliers actuels et potentiels. L’immobilier et le foncier ne sont pas considérés comme un pilier du futur en raison de faiblesses clairement identifiées. Dans le même souffle, il faut sauvegarder les terres agricoles dans une stratégie de sortie du sucre et de revitalisation du secteur agricole axée tant sur l’exportation que sur la sécurité alimentaire. Pour ce qui est de l’industrie manufacturière, la tendance est non seulement baissière mais aussi de plus en plus dépendante de la maind’œuvre étrangère ; une stratégie vers le haut de gamme et davantage de valeur ajoutée garantissant la qualité des emplois serait bienvenue. La délocalisation d’entreprises mauriciennes vers la Chine, l’Inde, le Bangladesh, Madagascar et autres pays d’Afrique va se poursuivre.

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Le tourisme et l’hôtellerie sont à la croisée des chemins et demandent à être repensés face aux défis d’une réduction accrue de leur impact environnemental et de l’indigestion de la population ; deux aspects qui mettent en danger les éléments même qui ont fait leur succès. Le Business Process Outsourcing (BPO) doit intégrer les incertitudes et fragilités dé- coulant d’une trop grande dépendance de décisions politiques d’une part, et d’autre part, de la concurrence des autres centres financiers et des innovations technologiques. Le numérique et les technologies de l’information et de la communication sont incontournables, à la fois en raison de l’étendue de leur champ et des multiples créneaux, déclinaisons et applications dans tous les domaines. Une économie océanique qui choisit le bleu-vert pour être cohérent avec le développement durable et la pêche comme créneau phare doit décoller. Le port et le port franc sont appelés à se développer également. Du côté des nouveaux secteurs à encourager vivement figurent les industries vertes et les industries culturelles couplées aux loisirs en raison de leur fort potentiel de création d’emplois et de richesse.

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Il nous faudra choisir les piliers à consolider et développer. On ne peut tout faire car il faut disposer de ressources financières et humaines mobilisables rapidement. Notre espace n’est plus limité aux frontières de notre territoire terrestre avec la zone économique exclusive qui fait de nous un État-océan, avec toutes les opportunités offertes par l’économie bleu-vert. Veillons à ce que les choix s’alignent sur un modèle socio-économique privilégiant l’économie productive plutôt que l’économie casino-spéculative ; une économie visant la qualité des richesses créées – biens et prestations – pour assurer des emplois durables et de qualité, et un développement inclusif.

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La richesse de Maurice c’est sa richesse humaine, qui a été et sera au cœur même du développement du futur. À la base de tout, indépendamment des orientations arrêtées en termes de piliers, se trouvent l’éducation et la formation, qui demandent à être sérieusement repensées. La transmission du savoir-faire mauricien et du savoir-être, avec l’école et les institutions éducatives en tant que lieux d’apprentissage de la citoyenneté et de lieux d’ouverture des esprits, est au cœur du développement des richesses.

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Le rôle de l’État

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L’État doit définitivement jouer son rôle stratégique pour dessiner les contours de Maurice de demain. Il faut, cependant, reconnaître l’influence des autres forces et dynamiques qui réduisent considérablement la marge de manœuvre d’un État national. C’est le cas pour tous les États du monde face au capital et aux forces du marché mondialisé. Mais la crise financière internationale de 2008 est venue remettre en question un des dogmes sacro-saints de l’idéologie du libéralisme économique, à savoir les vertus de la dérégulation et du moindre État. Ce n’est pas la fin de l’histoire, car la quête de nouveaux rapports pour une humanité retrouvée se poursuit.

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Historiquement, dans les démocraties à travers le monde, le rôle de l’État a évolué. Cela a tour à tour été l’État-arbitre, l’État-providence pour arriver à l’État-facilitateur. À Maurice, l’idéologie néolibérale et sa politique économique n’ont pas eu raison de l’État-providence périphérique mauricien. Il faut toutefois rester vigilant sur ce front, avec au cœur le principe fon- dateur du bien commun. L’État mauricien est à un tournant, il doit faire sa mue. La fonction publique quant à elle doit être forte, efficace et crédible et au service de la population et de la compétitivité de l’économie nationale.

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Compétitivité, productivité et qualité

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La compétition est une rude réalité. Elle s’accentue avec l’entrée en jeu de nouveaux acteurs. La productivité se conjugue de plus en plus avec innovation. Le développement est porté par les entreprises, et l’avenir se conjuguera avec celles d’entre elles capables de gérer et de tirer profit de la transition ou la rupture de la verticalité vers l’horizontalité dans la gestion des rapports sociaux au travail ; gestion devant faciliter l’esprit d’équipe et la transversalité. Les entreprises publiques et privées mauriciennes ne peuvent faire l’économie de cette révolution culturelle. Les entreprises mauriciennes sont encore minées par des archaïsmes dus aux pesanteurs sociohistoriques. Il y a encore trop d’exclusion en interne ; la valeur «méritocratie» est plus proclamée que pratiquée et donne lieu à des discriminations de tous genres.

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Toute réflexion devant déboucher sur une praxis concrète touche un ensemble de questions : la concentration des richesses et les multiples formes d’inégalité ;un environnement favorisant l’égalité des chances, d’espérances et d’opportunités ; le développement de l’économie circulaire et solidaire. Ces questions seront abordées dans le second volet : «Développement, inégalités et lutte contre la pauvreté».

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-Malenn Oodiah

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